Interview de Luz « Pas sans moi »

À l’occasion de la dernière année de représentation de la pièce “Pas Sans Moi”, nous avons souhaité interroger Luz Gourmelon, comédienne et militante participant à ce projet.

1 : Peux-tu nous dire en quelques mots comment est né le projet de la pièce « Pas Sans Moi » ?

Le projet est né  à partir d’une enquête réalisée par des étudiants de l’Université de Brest auprès de personnes âgées du secteur. Elle a révélé un fort sentiment d’isolement de ces aînés. Plutôt que de laisser ce travail dormir dans un tiroir, les partenaires sociaux, dont le département et les centres sociaux de Lesneven et de Locmaria Plouzané, ont envisagé de donner une forme artistique à ce travail. Ils ont chargé le Théâtre du Grain d’accompagner les 12 personnes qui ont répondu présent à la proposition du projet apparu dans la presse. Les propos recueillis ont été enrichis avec les témoignages des 12 comédiens, interrogés individuellement par Alain Maillard et tous concernés par les questions du vieillissement.

Lisa Lacombe s’est emparée de tout ce matériel et a rédigé le texte de « Pas sans moi ».

2 : Peux-tu nous expliquer la signification du titre « Pas Sans Moi ? »

« Pas sans moi » est l’expression du désir de toute personne vieillissante de garder la maîtrise de son destin. Les pouvoirs publics décident, les professionnels et les familles décident mais quid de la personne âgée elle-même ?

Lui demande-t-on son avis quand on lui impose le fonctionnement de certaines maisons de retraite ?  A-t-elle son mot à dire concernant l’organisation de l’aide à domicile, avec des professionnels qui changent matins et soirs et qui chronomètrent le temps des tâches ? Face aux difficultés de se déplacer, les élus se renseignent-ils des besoins de mobilité de leurs administrés âgés, réfléchissent-ils avec eux aux solutions à apporter ?

Voilà, au vu de la population âgée des prochaines décennies, nous voulons participer aux décisions qui nous concernent et comptons avec les centres sociaux pour être organisés et force de proposition.

3 : Qu’est-ce qu’il fait que tu as eu envie de participer à cette aventure ?

La petite annonce passée dans la presse m’a interpellé et je suis allée à la réunion de présentation du projet au centre social de Lesneven.

Engagée dans le groupe SVP (Senior, Vieillissement, Participation) de Lesneven depuis 2010, je milite pour rétablir l’image de la vieillesse, qui est souvent assimilée à un handicape. Or, seul un peu plus de 10 % de la population de plus de 60 ans est en situation de dépendance. Vieillir ce n’est pas la fin du monde, c’est le début d’autre chose dans un parcours de vie riche d’expériences à partager et à vivre avec toutes  les forces vives de la société.
Tant qu’il y a de la vie , du désir et du plaisir, la place du senior, du retraité, de la personne âgée, du vieux, appelez-le comme vous voulez, doit être valorisée et respectée, car il est la transmission, le passage de témoin pour les générations futures.

Alors, il m’a semblé dans un premier temps, que le théâtre pouvait être un outil intéressant de prise de conscience de nos réalités. La curiosité et le challenge ont été aussi les moteurs de mon engagement. Comment construit-on un spectacle à partir de rien ? Comment des gens qui ne se connaissent pas, qui n’ont jamais fait de théâtre pour certains, peuvent arriver à construire un spectacle qui peut susciter chez le public des émotions, qui peut transmettre un message positif et donner le plaisir d’un moment heureux ?

Le résultat de nos 14 représentations a dépassé toutes mes espérances, nous sommes fiers de l’avoir réussi.

4 : La pièce questionne sur les enjeux, les difficultés, les envies liés à l’avancée dans l’âge. Au-delà de cette pièce, comment peut-on au quotidien avancer sur ces questionnements ?

Les questions liées au vieillissement  sont encore la conséquence d’une mentalité où vieillir équivaut à ne plus avoir une place valorisante dans notre société. Quand on part à la retraite, on nous dit souvent que l’on peut s’occuper des petits enfants, jouer à la pétanque, faire du jardinage, voyager ( encore faut-il que le reste à vivre de la pension de retraite soit suffisante ). On ne contribue pas à la richesse du pays, on coûte de l’argent à la société et pourtant… combien d’heures de bénévolat, combien d’heures de garde de petits enfants, combien de projets menés par des retraités au service du bien commun ?
Puis il y a les personnes seules, l’isolement, la solitude qu’on laisse s’installer et qui n’est pas propre au grand âge, mais que le sentiment de mise à l’écart et la maladie peut aggraver .

Alors comment faire prendre conscience aux familles, aux professionnels, aux pouvoirs publics, aux aînés eux-mêmes, que la vieillesse est une étape de la vie à laquelle personne ne peut se soustraire et que par conséquence, c’est mieux de l’accepter avec son lot de changements et de pertes.
L’adaptation de la société aux besoins des populations qui avancent en âge ne se fera pas sans les mouvements citoyens. Donc c’est à nous, seniors, d’exiger des solutions d’habitat, de mobilité, d’exiger des réponses à nos besoins culturels et sportifs, de mouiller notre maillot pour pousser les élus à les mettre en place.

Le groupe SVP a organisé, en 2013, une quinzaine de l’habitat et des cafés-seniors sur l’habitat. La présence d’une centaine d’habitants à chaque événement fait, qu’aujourd’hui, la municipalité invite des citoyens aux groupes de travail sur des projets d’habitat. On peut également évoqué le super projet d’habitat partagé de Plourin-les-Morlaix.

Nous avons également pris l’initiative de faire une enquête de mobilité auprès de 9 communes. La synthèse sera partagée avec les élus de la communauté des communes. On espère trouver des réponses aux besoins de déplacement des communes rurales. Le numérique, c’est aussi un sujet important, je vois que plusieurs centres réfléchissent à des projets qui répondent à un vrai besoin.

Pour avancer et mobiliser la population âgée, il me semble important que les centres sociaux forment leurs employés à la relation avec ce public ( pas de paternalisme, mais confiance et partage des  responsabilités). Créer des groupes autonomes dans tous les centres sociaux comme SVP, comme à Plougastel, des lieux où on se rencontre et on parle de nos problèmes, de nos joies, de nos manques. Non seulement on crée des liens, mais en plus on trouve collectivement des projets qui nous aident à trouver des réponses à nos besoins et à rester connectés avec la population active.

Les cafés-seniors sont, à mes yeux, un excellent moyen de mobiliser les aînés. Ils viennent écouter, échanger et partent parfois en se posant des questions. Les centres sociaux ont un rôle à jouer dans la mobilisation de cette population. Pour cela, il faut être à l’écoute de leurs besoins, les accompagner et faciliter leur autonomie dans la mise en place de projets parce que changer le regard sur la vieillesse ce n’est pas une affaire de semaines ou de mois : changer les mentalités prends des années, voire des générations.

Cela veut dire recommencer toujours, même quand on a l’impression que l’on a épuisé les thèmes de débat, que tous les besoins ont été satisfaits. En fait, c’est un éternel recommencement, car ils se présentent à nous sous un nouvel aspect, parce que la vie est mouvement et de nouveaux enjeux sociétaux, économiques et culturels s’expriment.

Alors soyons attentifs et inventifs les nouveaux seniors ont des beaux jours devant eux.

Merci à Luz Gourmelon d’avoir répondu à nos questions !

L’Atelier du 5 bis, de Dinan, est le prochain centre social à accueillir la pièce. Cette prochaine représentation de “Pas Sans Moi” aura lieu le jeudi 28 mars à 14h30, au théâtre des Jacobins, à Dinan. L’entrée est gratuite et ouverte à tous.